Les "Ojos del salar" : la fin des mythes et des légendes...? {Partie 2 : l'histoire d'amour des volcans}

Publié le par Aurelio

cordillere De gauche à droite : les volcans Licancabur et Juriques, le Paso Jama, et le cerro Toco.

 

Il était une fois il y a fort fort fort longtemps, une famille de 3 volcans qui vivait en paix en dessus de l'oasis de San Pedro dans le désert d'Atacama. Cette famille était constituée d'un couple éperdûment amoureux : Le Licancabur, le plus beau et le plus majestueux des volcans de la région (voir notre article sur le Licancabur), et sa compagne la montagne Kimal. Il faut imaginer qu'alors la Kimal vivait à côté de son mari, à l'endroit de l'actuel Paso Jama, passage frontière à travers de la Cordillère des Andes et qui relie aujourd'hui l'Argentine, la Bolivie et le Chili.

 

Le Licancabur et la Kimal vivait donc paisiblement leur amour sous le regard atendri mais néanmoins autoritaire du volcan Lascar, père de la Kimal et chef incontesté de ce clan de volcans veillant sur le salar d'Atacama. En effet, tous les étés pendant la période de l'hiver altiplanique (phénomène climatique qui apporte pluie et neige sur cette partie des Andes), ces volcans jouaient un rôle essentiel dans la bonne marche de ce petit eden qu'était le bassin du salar. Car lorsque la neige et la pluie commençaient à tomber sur tous les sommets de nos chers volcans, le chef Lascar mettait tout le monde en ordre de travail et chacun accompagnait l'eau de son sommet vers le monde d'en bas. Apparaissaient alors de hauts arbres et de grands lacs qui apportaient nourriture et eau aux divers animaux du salar et des oasis.

 

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La Kimal, point culminant de la Cordillère de Domeyko.

 

Tout allait donc pour le mieux dans cette partie de la Cordillère des Andes. Une chance que lorsque la Kimal décida d'épouser Licancabur son père donna tout de suite son consentement. Imaginez, sa fille se mariant au plus beau et au plus respecté des volcans de la région, ce fût un honneur et une grande fierté pour la famille. Lascar voyait en Licancabur le digne sucesseur à son trône.

Un jour, Licancabur reçu la visite d'un vieil ami : le volcan Juriques. Juriques était un volcan presque aussi beau et respecté que Licancabur. Il s'était installé il y a quelques millions d'années plus à l'intérieur de la cordillère, dans la région de Potosi, en plein milieu du grand salar de Uyuni.

En l'honneur de leur très ancienne amitiée (Licancabur et Juriques se connaissaient en effet depuis près de 60 millions d'années, ce qui n'est pas rien...), Licancabur décida d'héberger son ami sur son petit coin de cordillère, avec bien entendu l'autorisaton préalable de sa femme la Kimal.

A ce moment de l'histoire, les versions divergent et nul ne sait exactement de qui serait venue la faute, ou si Juriques se serait fait passer pour son ami Licancabur afin d'arriver à ses fins... Le fait est que l'on retiendra que La Kimal et Juriques, certainement du fait d'une promiscuité temporaire, auraient fauté. Ils auraient consommé une relation extra-conjugale, et ce dans le dos de Licancabur. Ce n'est cependant pas Licancabur qui le premier découvrit cette tromperie mais le père de Kimal : Lascar. On raconte que ce serait le cerro Toco, serviteur et également espion officieux de cette partie nord de la Cordillère, qui aurait dans son rapport hebdomadaire fait part de l'événement à son chef Lascar.

 

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Il faut imaginer ici que la plaine du Paso Jama était le lieu de résidence de la Kimal.

 

En apprenant la nouvelle, Lascar entra dans une colère grise et pyroclastique, produisant une éruption gigantesque ! Ne pouvant contenir sa colère, il dispersa sur toute la cordillère des nuées de cendre en fusion dont on voit encore les traces aujourd'hui. Tous les volcans et les proches conseillers du chef se demandèrent alors ce qu'il pouvait bien lui arriver, car jamais au grand jamais ils n'avaient vu une telle colère de la part de Lascar, lui qui n'avait pourtant pas la réputation d´être un volcan calme.

Lorsqu'ils apprirent la raison de la colère de Lascar, les proches conseillers du chef, les volcans Simba, Pili, Lejía et l'intendant Corona, se réunirent pour débattre du problème "Juriques" (voir notre carte des volcans). Une fois leur réunion terminée, les volcans s'adressèrent à leur chef par la voix de Pili, le volcan le plus haut de la communauté et qui plus est, un ami fidèle de Lascar.

- "Mon vénérable ami et chef incontesté, retient ta colère sinon nous serons tous engloutis sous ta peine et tes cendres", dit Pili à Lascar. "Ne laissons pas ce volcan étranger, cet intru de Juriques, semer le trouble dans nos cratères", poursuit-il. "Pour l'amour de ton gendre Licancabur, celui que tu as choisi pour te succéder ; pour l'amour éternelle que tu voues à ta fille Kimal ; et pour l'équilibre de notre communauté, seul Juriques doit être puni, lui seul doit subir ta colère. Tu auras tout notre soutien si tu décides qu'il en soit ainsi."

 

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Éruption du volcan Lascar en 1993.

 

N'ayant d'autres alternatives que de répondre à ses obligations de chef, et fort du soutien de ses conseillers, Lascar conclut qu'il lui fallait démontrer de manière implacable son autorité sur Juriques, son désaccord face à sa tromperie. Lascar décida donc d'arracher la tête de Juriques et de la renvoyer d'où il venait, dans le Salar de Uyuni. Mais avant d'exécuter son geste, il enleva les yeux de l'étranger et les jeta au milieu du Salar d'Atacama, pour que tous les volcans présents et tous les futurs membres de sa communauté puissent voir depuis leurs sommets les deux trous formés par les yeux de Juriques dans la croute de sel. A cet endroit précis se trouvent les fameux "Ojos del Salar". Aujourd'hui encore, les restes de la tête de Juriques se trouvent dans le Salar de Uyuni en Bolivie. Ils forment l'ile Incahuasi (Pescado).

 

Ne pouvant guère infliger le même sort à sa fille, Lascar décida d'envoyer Kimal en exil de l'autre côté du Salar d'Atacama. Elle règnerait désormais en son nom sur la Cordillère de Domeyko, à plus de 100 km de sa communauté natale et de son mari Licancabur.

On raconte que, malgré la tromperie et l'exil, Licancabur est resté et reste encore aujourd'hui éperdument amoureux de sa Kimal, et qu'elle aussi continue de souffrir de sa séparation forcée d'avec Licancabur... Chacun d'eux regrettera toute sa longue vie de montagne de n'avoir jamais eu d'enfant issu de leur amour...

 

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Depuis ce jour de leur séparation, on murmure que Licancabur ne cesse de pleurer sa Kimal, cachant ses pleurs à l'intérieur même de son cratère, formant une lagune encore visible aujourd'hui et qui ne tarit jamais.

L'autre fait étonnant qui témoigne de l'amour éternel entre Kimal et Licancabur a lieu chaque année au solstice d'hiver (le 21 juin ici dans l'hémisphère nord). A cette date, lorsque que le soleil se lève derrière la cordillère des Andes et le volcan Licancabur, on peut observer que le Licancabur envoie le tout premier rayon du jour depuis son sommet vers le sommet de son amour perdue, tel un baiser lancé par delà le salar. Pour les habitants du salar (les atacamènes), cet événement symbolise le jour de la fertilité. C'est à ce moment-là qu'il faut préparer la terre pour bénéficier des bienfaits de cet amour ancestral, et s'assurer une abondante récolte. Chaque plante issue de cette récolte seraient un enfant de Licancabur et Kimal.

 

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Lever de soleil sur le Licancabur.

 

Enfin, si l'on se place du point de vue "tectonique" des choses (voir notre article "Méchante Nazca"), la pression constante exercée par la plaque océanique de Nazca sur la plaque continentale Sud-Américaine a pour conséquence, non seulement la création des différentes cordillères chiliennes, mais aussi le rapprochement lent de l'une avec l'autre. On peut donc logiquement penser que dans des millions, voire milliards d'années, le Licancabur et la Kimal seront à nouveau réuni dans une même chaîne de volcans... Et c'est ce qu'on appelle un "happy end" !

 

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Image : googleearth.

 

Notes :

 

> Il existe de nombreuses versions de cette même histoire, avec plus ou moins de variantes sur le rôle de chaque volcan dans le récit. Cette version est inspirée de plusieurs de ces variations entendues ici et là, et également très librement adaptée et modifiée au gré de mon imagination.

 

> Concernant la légende du premier rayon de soleil du Licancabur, nous avons eu la chance de pouvoir assister à ce phénomène, non pas autour du 22 septembre, mais le 18 avril 2014. Ce jour là, l'alignement entre le soleil et le sommet du Licancabur se trouvait être parfait, vu depuis le mirador de Cari (dans la cordillère de sel). Voir la vidéo.

 

> Nous avons volontairement exclu du récit le fait que si les Chiliens se méfient des Boliviens, et inversement, c'est notamment du fait de la trahison du volcan Juriques (venu de l'actuel territoire bolivien) et du sort qui lui fût réservé par la communauté des volcans du Salar d'Atacama (résidant sur l'actuel territoire chilien). Et si le volcan Licancabur est aujourd'hui à cheval entre la Bolivie et le Chili, c'est qu'après les tragiques évéments dont il fût la malheureuse victime, Lascar lui confit la lourde tache de veiller sur les allers et venues des volcans étrangers passant par le Paso Jama, laissé vide après le départ de Kimal.

 

> Et tout ça bien sûr pour vous expliquer la formation de nos "Ojos del Salar"... Je crois qu'il est bon de rappeler ici le pourquoi du comment !

 

Lire la première partie de "Les Ojos del Salar : la fin des mythes et des légendes...?" {les hypothèses}

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M
Lors de ma visite guidée en 2013 j'ai eu la même explication pas ma guide privée, en plus j'ai partager avec bonheur ce lever de soleil sur la pointe du licancabour le 18 avril 2014.<br /> Merci pour tous vos articles qui nous font passer des moments bien agréables surtout ces jours pluvieux.
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